Récupérer l'urine humaine pour l'agriculture locale

Publié le 26/06/2025
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Le réseau citoyen du climat de la presqu'île de Crozon et de l'Aulne maritime a pour but de sensibiliser la population locale aux enjeux de la transition climatique. Dans cette émission, c'est un sujet à la croisée des questions du manque d'eau potable, de la santé humaine liée aux pollutions et à l'alimentation : la récupération d'urine pour fertiliser les champs. 

Le site internet des Citoyennes et citoyens du climat de presqu'île de Crozon et Aulne maritime

Animé par l'association Energ'ence, le collectif ouvert des citoyennes et citoyens du climat rassemble des personnes de la Communauté de communes de la presqu'île de Crozon et de l'Aulne maritime qui souhaitent agir concrètement.

L'année 2022 avait marqué les esprits pour sa sécheresse et les incendies qui l'avait accompagnée. Des communes des monts d'Arrée s'étaient retrouvées à sec et il avait fallu leur apporter des citernes d'eau potable. En cette fin juin 2025, la préfecture du Finistère a placé le département en "vigilance" ressource en eau. 

Le problème deviendra structurel si le réchauffement s'accentue. Le Finistère n'ayant pas ou peu de réserves souterraines, il doit se contenter des eaux de surfaces (rivières) pour son approvisionnement en eau potable. Une eau "fugace" et qui ne se recharge que si les pluies sont régulières et pas trop abondantes (en cas d'orage, l'eau ruisselle davantage et n'a pas le temps d'imprégner les sols non plus). 

Prévenir les manques de ressources en eau 

Le plan Finistère Eau Potable du Conseil départemental vise notamment à anticiper les pénuries d'eau ; une charte de solidarité entre les territoires du Finistère en fait partie ; elle est associée à des mesures de prévention comme la distribution de kits d'économie d'eau (mousseurs de robinets). 

La ressource en eau est donc bel et bien un sujet finistérien. Or, en moyenne, un cinquième de la consommation d'eau potable des Français part... en chasse d'eau ! La récupération directe des urines humaines permettrait d'en épargner une bonne partie. 

Certains projets ont déjà vu le jour : lors des festivals (comme celui du Bout du monde) ou de façon plus pérenne. L'agglomération de Lyon teste actuellement une fertilisation agricole par récupération d'urines via des toilettes sèches. D'autres expérimentations sont pratiquées à Angers ou Paris. Il peut s'agir d'exploitations agricoles à qui on apporte son bidon d'urine ou bien de conception de bâtiments avec récupération intégrée à la conception des toilettes.  

Les engrais phosphatés et leurs inconvénients 

L'urine, c'est d'abord de l'eau. Quand on en manque, il peut être intéressant de la réutiliser (diluée, pour qu'elle ne brûle pas les plantes). Mais c'est aussi 2 % de minéraux dont du phosphore disponible immédiatement pour les plantes qui en ont besoin pour, entre autres, réaliser la photosynthèse (en association avec l'azote, qui est aussi présent dans l'urine). 

C'est donc pour cette raison que l'agriculture conventionnelle apporte des engrais phosphatés, essentiellement industriels, fabriqués à partir de phosphate extrait de mines. Le Maroc est le premier producteur mondial de ce minéral. Le problème, c'est que non seulement c'est une activité extractive, qui demande de l'énergie, une transformation puis du transport. Mais en outre, un des coproduits de ces engrais phosphatés, c'est le cadmium, présent en très petites quantités, mais qui s'accumule dans les champs où l'engrais est répandu, sur les céréales en particulier, et au final dans nos corps humains. Il est par exemple reconnu comme cancérogène.

L'urine fertilisant agricole, une pratique ancienne qui revient... 

Les déjections humaines ont fait partie des fertilisants dès le début de l'agriculture. On parlait d'engrais flamand encore au début du XXe siècle. C'est après la Seconde Guerre mondiale que l'assainissement s'est imposé dans les pays développés et que les urines et fèces humaines ont été envoyées dans l'eau et les stations d'épuration. Des engrais gratuits remplacés par les produits de l'agrochimie. 

Ces engrais phosphatés d'origine minérale ont vu leurs coûts augmenter ces dernières années, du fait notamment de la guerre Russie-Ukraine, deux pays pourvoyeurs. 

La question d'une filière de récupération des déjections humaines pour un approvisionnement plus local en fertilisants resurgit donc çà et là. 

Sensibiliser la population à ce cycle vertueux, mais encore tabou

Bien sûr, il reste des freins à lever. Les médicaments sont présents dans l'urine humaine (mais aussi dans les déjections animales qui, elles, sont utilisées en agriculture conventionnelle). L'agriculture biologique n'est donc pas autorisée à l'utiliser. 

Quant au risque bactériologique, il peut être facilement maîtrisé pour l'urine si la collecte séparée est pratiquée puisque c'est un produit sans bactéries pathogènes lorsqu'il sort du corps humain en bonne santé. 

Reste le "tabou" culturel ; l'idée qu'on utilise l'urine pour produire notre alimentation, fut-elle de qualité. 

Les citoyennes et citoyens du climat de la presqu'île de Crozon et de l'Aulne maritime tentent malgré tout le par de la sensibilisation, notamment du monde agricole. La Maison des minéraux de Crozon est intéressée et un projet commun est en cours d'écriture. Des idées naissent déjà : fabrication d'une "pipi mobile" pour la collecte locale lors d'événements, impression trois D de "pisse debout" pour femmes, tests comparatifs de culture de céréales et de légumes (radis, épinards et salades) avec trois parcelles, l'une sans engrais, l'une avec engrais conventionnel, la troisième avec urine.