Récits de voyageuses de la mer depuis le 18e siècle
Publié le 07/10/2025
Professeure de littératures comparées à l'Université de Bretagne occidentale et membre du CRBC (Centre de recherches bretonnes et celtiques), Véronique Léonard-Roques nous transmet quelques récits de voyages maritimes au féminin, écrits entre le 18ᵉ et le 20ᵉ siècle.
Les récits de voyages maritimes au féminin sur le site internet de l'UBO
Véronique Léonard-Roques étudie la circulation des idées dans les littératures françaises, allemandes et anglo-saxonnes ; comme les historiens, elle se penche notamment sur des correspondances et des témoignages, en plus des écrits de l'imaginaire.
Les études de genre font partie de ses thèmes de travail, spécifiquement au sein du CRBC (Centre de recherches bretonnes et celtiques). Elle s'intéresse en général aux femmes du monde maritime dans la littérature. Elle coordonne le séminaire Mémoires maritimes et portuaires au féminin du XVIIe siècle à nos jours dont le prochain chapitre aura lieu le 21 novembre 2025 à l'UFR Lettres et Sciences humaines de Brest.
Parallèlement, elle participe à un projet de recherche de l'UBO et l'UBS - FRIGORIFIK - autour de la mémoire des ouvrières des usines à poisson de Saint-Pierre-et-Miquelon.
D'abord des femmes britanniques et fortunées qui se méfient de la mer
La chercheuse constate régulièrement que le monde de la mer est évidemment genré ; les femmes liées au monde maritime restant largement "cantonnées" (dans des usines) et invisibilisées. Le récit de voyage au féminin apparait tardivement, comparativement à celui des hommes qui prend son essor dès le XVIe, il faut attendre le XVIIe siècle pour que surgissent des écrivaines voyageuses. Elles sont britanniques, d'abord aisées. La première, Lady Mary Workley Montagu, accompagne son mari, ambassadeur à Istanbul, en 1716. Elle décrit son voyage jusqu'en Turquie et notamment la traversée de la Manche qu'elle raconte de l'intérieur du bateau, observant les comportements des autres passagers et de l'équipage alors qu'une tempête fait rage. La mer est encore alors perçue comme un milieu hostile, la traversée un passage obligé.
Une des premières écrivaines voyageuses françaises, autour des années 1750, c'est Anne-Marie du Bocage ; dans ses récits, là encore, elle déconseille d'aller par voie de mer si on peut aller par voie de terre. La peintre de Marie-Antoinette Vigée Le Brun en exil voyage dans toute l'Europe ; elle déplore d'être bloquée dans une auberge par une tempête en Manche sans être aucunement attirée par
Vers une vision plus romantique et sensible de la mer au XIXe siècle
Le romantisme du XIXe pousse les navigatrices à sortir sur le pont et à contempler la mer, les éléments, à l'instar de Mary Wollstonecraft, mère de Mary Shelley qui voyage seule en Scandinavie. La Française Léonie D'Aunet, elle-même inspirée par une autre voyageuse, Rose de Freycinet, profite de sa qualité de fiancée du peintre d'une expédition scientifique au Spitzberg pour s'embarquer dans l'aventure (avec une tenue discrète et masculine). Elle reste six semaines à bord de la Recherche et raconte ses impressions avec lyrisme ; elle partage cette expérience intense et existentielle, son sentiment du danger, de la force de la nature. Léonie D'Aunet sera publiée quelques années après son voyage, car, maîtresse de Victor Hugo, elle sera poursuivie en justice par son mari au point d'être emprisonnée un temps, puis contrainte de vendre son œuvre pour subsister ; les récits de voyage sont alors en vogue et celui de Léonie D'Aunet rencontrera donc un certain succès.