Des femmes et des îles

Publié le 20/05/2025
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Dans cette quatrième chronique, Les racontages de l'égalité, Maryne Bruneau explore les liens entre les îles et les femmes.

Photo de couverture : Femmes d'Ouessant - Paul Gruyer, Public domain, via Wikimedia Commons

Par Maryne Bruneau

Dans une précédente chronique, j’évoquais la Marie, ouessantine aujourd’hui disparue, mais dont le rire chante encore dans le vent. 

Et le vent, justement, c’est un truc insulaire, bien sûr, mais c’est aussi un truc de femmes insulaires. Connaissez-vous le surnom d'Ouessant ? Il s’agit de « l’ile des femmes » et ce n’est pas pour rien, même si finalement, c'est un peu impropre. 

N’importe quel touriste vous le dira parfois après avoir rendu son déjeuner sur le bateau au retour au Conquet ou à Brest, Ouessant, c’est l’île des femmes. 

Et comme je me promène beaucoup, un peu partout dans notre chère Bretagne, je me suis demandé pourquoi cette expression spécifique à propos d’Ouessant. 

Il s’agit en fait du nom donné à l’île par un journaliste en 1907 et c’est dans son œil plutôt que dans la réalité qu’il faut en chercher la raison. Se promenant sur l’île, il n’a vu que des femmes. Et pour cause : 80% des hommes étaient en mer la majeure partie de l’année ! Ouessant est une île particulière, avec très peu d’arbres et une agriculture pas facile, alors, les ressources de la mer étaient vitales. 

Le problème, c’est que tout cela a donné lieu à tout un tas de clichés, sur fond de stéréotypes genrés et est même venu nourrir cette idée de matriarcat. Pendant un moment, on vendait même aux touristes l’idée qu'Ouessant a été le seul matriarcat français. 

Or, à Ouessant, "pas plus de matriarcat que de beurre en broche", comme disait ma grand-mère ! 

Une fois encore, quelques messieurs bien intentionnés, dans une autre époque, ont tenté de vendre l’idée que le Bretagne était une terre matriarcale. C’était bien, c’était dans le vent, ça faisait vendre pour les publicitaires. Sauf qu’on sait bien aujourd’hui à quel point c’était faux. Faux en Bretagne, faux à Ouessant. Le matriarcat est un système juridique et social dans lequel les mères sont les cheffes de famille. Si tel avait été le cas, on aurait trouvé dans tous les registres des femmes à la tête de tous les espaces politiques et de pouvoir. Or, ce n’est pas plus le cas que partout ailleurs en France. 

Toutes ces informations, vous pouvez les retrouver sur le site du Musée de la carte postale même si son créateur antibois, Christian Delflandre, écrit parfois de drôle de choses. Par exemple, sur cet article concernant le surnom d'Ouessant comme « ile des femmes », il dit « De nos jours, cela pourrait être le titre d’un roman grivois ou même le titre d’un film classé X ». Bon, ben désolée Christian, il n’y a que vous pour penser ça je crois… enfin, j'espère ! moi quand j’entends « ile des femmes », j’imagine un endroit où les femmes ne subiraient plus de harcèlement de rue et de violences sexistes diverses, et je n'imagine pas pour autant que tout le monde pense comme moi !

Toujours est-il qu’entre deux propos sexistes sur le site, on apprend que les naturalistes au début du siècle dernier voyaient parfois les femmes comme une curiosité. 

Une curiosité alors que – je vous l'ai rappelé dans une autre chronique - il y a 52% de femmes en France ! 

Et les chiffres sont les mêmes pour la Bretagne d’ailleurs, 51,3%. Et je disais tout à l’heure que l’expression « l’ile des femmes » est finalement impropre parce que même si elle cadre bien avec la réalité d’Ouessant à l’époque, elle cadre finalement avec toutes les îles, ainsi que toutes les villes en bord de mer à la même époque. Les populations vivaient des produits de la mer et ce sont les hommes qui partaient pêcher. Cette appréciation d’île des femmes est finalement, elle-même, une curiosité, qui dit beaucoup plus du regard des hommes, journalistes et naturalistes et d’une époque, que de la spécificité d’une seule île. 

Finalement, toutes les îles sont ou étaient des « îles des femmes » alors ?

Oui, tout à fait, à une certaine époque. C’est-à-dire jusque dans les années 1990 tout de même. Cela s’explique par les rôles, très genrés, des femmes et des hommes en contexte insulaire et dans les communes de bord de mer. Aux hommes la mer et la pêche, avec tous ses dangers, aux femmes, le traitement du poisson comme à Douarnenez et la gestion du quotidien et des commerces.

Si vous voulez lire ou sortir autour de ce sujet : 

  • Le livre de la sociologue Anne Guillou intitulé Pour en finir avec matriarcat breton. J’aime vraiment ce livre parce qu’il permet de replacer au bon endroit le fonctionnement d’une société, sans y jeter un regard, comme on le fait parfois, anachronique qui réécrit l’histoire. Nous avons en Bretagne actuellement nombre de chercheurs et de chercheuses s’attèlent à ce travail et c’est salutaire 
  • Et puis, vous connaissez peut-être Les Balades photographiques de Daoulas, en Finistère. Il s’agit d’une exposition dans la ville de Daoulas ainsi qu’à l Abbaye. Cette année, le thème, ce sont justement les îles du monde avec trois artistes qui proposent leur vision : Francette Le Guennec et Antoine qui évoquent la beauté et la fragilité des îles, et Laurent Weyl qui présente son travail sur les réfugiés climatiques. Ce sujet sera d’ailleurs le thème de ma chronique de juin !