Les polychètes, animaux fantastiques bien réels !
Publié le 06/05/2025
En tant que taxonomiste pour l'Ifremer, Gabin Droual étudie et classe les animaux du fond de la mer (zone benthique). Parmi ses spécialités : les polychètes ; ces vers — surtout marins — sont particulièrement fascinants du fait de leur diversité et des adaptations qu'ils ont manifestées au fil de l'évolution.
Ingénieur de recherche pour l'Ifremer au laboratoire Dyneco (Dynamique des systèmes côtiers), Gabin Droual est taxonomiste naturaliste : il identifie et classe les êtres vivants, ceux de la zone benthique (fond marin) en ce qui le concerne : des poissons, oursins... et des vers. Les polychètes sont sans doute ses animaux fétiches et il faut dire qu'ils sont bel et bien fascinants.
L'origine de la classe des polychètes remonte à très loin, environ 520 millions d'années. C'est à cette époque qu'ils se sont séparés des autres Annélides, la grande famille (embranchement) des vers à anneaux qui compte aussi les lombrics et des sangsues. La particularité des polychètes, comme l'indique leur nom, c'est le nombre de soies qui sortent de leur corps et leur servent à avancer, s'accrocher ou attraper de la nourriture. Ce sont aussi ces organes qui font la beauté de ces animaux si délicats et souvent colorés.
14 000 espèces de polychètes décrites et encore bien d'autres, encore inconnues
Les taxonomistes comme Gabin Droual ont répertorié près de 14 000 espèces de polychètes (2000 en France), mais ils estiment qu'il leur en reste encore autant, voire davantage à découvrir et décrire. C'est dire la diversité de cette classe. Et en effet, que ce soit par la taille, les modes de reproduction, les milieux occupés, ces vers semblent incarner parfaitement les chemins de l'évolution des espèces.
La plupart des polychètes vivent en milieu marin, de l'estran aux grands fonds, enfouis dans les sédiments ou nageant près des sources hydrothermales. Les plus grands mesurent 3 mètres, les plus petits doivent être observés à la loupe binoculaire. Certains sont prédateurs (de poissons), d'autres simplement filtreurs, certains captent la nourriture au sol avec un filament (les déposivores), d'autres encore se nourrissent des bactéries et champignons du sable en rejetant la matière minérale sous forme de petits tortillons (voir photo de couverture). Il existe aussi des polychètes qui en parasitent d'autres, mais ils sont particulièrement difficiles à étudier et les scientifiques ignorent l'essentiel de leur biologie. D'une façon générale, même pour décrire un nouveau spécimen découvert la nature, il faut attendre sept ans pour qu'un taxonomiste se penche sur un polychète... qui n'est donc pas une priorité de la science.
Les modes de reproduction variés et inventifs des polychètes
Pourtant, quand on se penche sur le mode de reproduction des polychètes, on est encore plus étonné. Certains vers utilisent la méthode du clonage pour se multiplier : en "pondant" leurs juvéniles attachés à leur intestin dans leur sillage, en se séparant d'une partie de leur corps qui deviendra un nouvel être, en laissant pousser leurs petits sur leur dos comme des pustules... La reproduction sexuée a néanmoins été adoptée par d'autres espèces dont une qui perd toute substance interne et se transforme en simple "sac de gamètes". Tous ces gamètes sortiront ensemble et nageront vers la colonne d'eau, abandonnant ce qu'il reste de leur parent, à la recherche d'autres gamètes. D'autres encore laissent sur des cailloux ou des coquillages des "capsules" verdâtres et translucides au travers desquelles on voit les petits. En 2011, Herbert Wilson a estimé qu'il existait 18 modes de reproduction des polychètes.
Même pour respirer, ces vers ont adopté différentes stratégies : par des branchies, en avalant de l'eau dont ils récupèrent l'oxygène ou directement par la peau.
Les polychètes méritent qu'on leur prête attention. Pour acquérir une connaissance empirique des milieux, de leur état écologique et des impacts humains sur les habitats.